Interview Marie Roué Ep 6

Nous sommes les kisikus, branche aînée du groupe local de Clermont Ferrand des Eclaireuses et Eclaireurs Unionistes de France. 

Nous préparons un projet fabuleux pour cet été : aller à la rencontre des Saamis en Scandinavie, dernier peuple autochtone d’Europe, autrement appelés “Lapons”. 

Nous avons eu la chance d’interviewer Marie Roué, directrice de recherche émérite du CNRS, spécialiste française des Saamis. 

Suivez cette interview en 9 épisodes pour découvrir ce peuple, sa culture et ses enjeux. 

Chaque semaine un nouvel épisode ! 

Episode 6 : Quelle est l’importance de l’élevage de rennes dans la culture saamie ? 

Manu : Les Samis vivent pleinement dans la modernité, comme n’importe quel peuple. La question que l’on se posait est la suivante : la culture sami est-elle toujours fortement liée à l’élevage du renne ? Et surtout, quelles sont les particularités de cet élevage ? Car, en tant que Français, on pourrait imaginer un élevage similaire à celui qu’on connaît en France, avec des étables et des clôtures, mais ce n’est pas nécessairement le cas.

Marie Roué : Non, ce n’est pas du tout cela, traditionnellement. Parce que le renne, vous l’imaginez plutôt comme dans les westerns, avec un type de ranching, c’est-à-dire comme les cowboys du Far West. Les rennes, eux, trouvent leur nourriture par eux-mêmes. Ils sont parfois guidés partiellement par les hommes, mais ce sont les hommes qui les suivent. On se pose souvent la question de l’œuf et de la poule : est-ce que ce sont les Samis qui suivent les rennes, ou les rennes qui suivent les Samis ? Ils migrent ensemble. C’est un élevage où les rennes parcourent les montagnes avec des déplacements qui peuvent aller de 200 à 300 kilomètres, selon la topographie et la géographie de la région. Par exemple, en Suède, les déplacements peuvent être altitudinaux, c’est-à-dire que les rennes montent en été sur les sommets des montagnes, où ils trouvent des pâturages herbacés, et descendent dans les forêts en hiver, où ils se nourrissent de lichens sous la neige. En Norvège, par contre, ils vivent à l’intérieur du pays, environ 300 kilomètres au cœur de la toundra en hiver, et migrent vers la côte au printemps, où les premières pousses d’herbe commencent à pousser. Les migrations se font deux fois par an, au printemps et à l’automne, en fonction des circonstances et des années.
Traditionnellement, toute la famille suivait le troupeau. Aujourd’hui, il y a plutôt une tendance à vivre sur la résidence d’hiver, de manière permanente, car les enfants vont à l’école, à l’université, ou travaillent. Une partie de la famille a aussi un emploi. En été, en revanche, ils se déplacent pendant les migrations, surtout les plus jeunes hommes, car c’est souvent motorisé maintenant. Ce n’est plus à pied, mais cela dépend aussi de la saison. Cependant, une fois arrivés dans les maisons d’été, ils sont rejoints par une grande partie de la famille.
Ce qui est très intéressant, c’est que je vais vous parler surtout des éleveurs, car c’est principalement avec eux que je travaille. Ils ont la culture la plus visible, mais, comme je vous l’ai dit au début, ils représentent une minorité dans une minorité. C’est un groupe qui a conservé la langue et les vêtements traditionnels, sans doute plus que les autres groupes. Les autres, en effet, étaient plus intégrés à une société scandinave qui ne favorisait pas forcément l’expression de leur identité. Les pêcheurs, en particulier, avaient beaucoup perdu, non seulement à cause des mariages mixtes, mais aussi par souci de ne pas mettre en avant une identité extrêmement méprisée. Beaucoup d’entre eux avaient perdu leur langue et leurs vêtements. Cependant, il y a eu un mouvement de renaissance ces dernières décennies qui leur a permis de récupérer leur langue et leurs vêtements traditionnels.
Il est intéressant de noter qu’il y a toujours eu une certaine perméabilité entre les différents groupes de Samis, avec des mariages intercommunautaires. Par exemple, une jeune femme de ma famille qui a épousé un éleveur a redynamisé la langue dans sa propre famille. Son mari, au début, la parlait très peu, il l’avait rarement entendue, car sa mère était norvégienne. Mais peu à peu, la langue principale de communication est devenue le sami, et de plus en plus dans la famille. Dans les écoles, et même dans l’éducation pour adultes, le sami est de plus en plus enseigné. Le fait que les éleveurs aient conservé une culture distincte permet aussi d’être un réservoir pour les autres groupes, qui avaient plus de difficultés à manifester leur identité pendant la période de renaissance. Cela a aussi permis, par exemple, de relancer la fabrication de vêtements traditionnels. Les femmes éleveuses sont généralement d’excellentes couturières du vêtement sami et ont parfois fabriqué ou vendu ces vêtements à des populations qui ne savaient plus comment les faire, permettant ainsi de préserver cette identité culturelle.

https://youtu.be/dsDZue6zidY


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