Les luttes actuelles des saamis.

Mini-conférence d’Emmanuel lors de la soirée du 16 mai.

Nous l’avons vu , les saamis ont subi ce que subissent les peuples colonisés : déplacements forcés, scolarisation endoctrinante, sédentarisation, déculturation, infantilisation, minoration, vexation, oppression, racisme… 

Les luttes actuelles des saamis s’inscrivent dans ce contexte de colonisation. Un colonisation singulière à plusieurs égards car il s’agit de blancs, sur le territoire européen et une colonisation plus bureaucratique que militaire. 

Le colonialisme est nécessairement un racisme car il pose en postulat de base une supériorité d’un peuple sur un autre. Depuis l’antiquité romaine, nous baignons dans ce biais qui considère que le colonisateur est colonisateur par sa supériorité “naturelle” et que le “progrès” qu’il apporte l’autorise à soumettre, voler, spolier, détruire, effacer, … Mais ce fameux “progrès” ne sert que les intérêts du colonisateur : l’exploitation libre des ressources du pays colonisé. Cette supériorité n’est pas naturelle mais revendiquée par les armes, le nombre et une volonté de domination et d’accaparement. L’esprit colonial considère la terre colonisée comme vierge puisque les peuples qui l’habitent sont inférieurs donc sauvages donc sans droit réel et sous-développés puisqu’ils n’exploitent pas les ressources de cette terre comme le colon pense qu’il convient de faire : jusqu’au bout et pour servir le seul intérêt du propriétaire. Finalement on se demande qui est réellement le sauvage ? qui est réellement le civilisé ? Asservir un autre peuple fait-il de nous un sauvage ou un civilisé ? 

La lutte des peuples autochtones est à aborder à travers le prisme du colonialisme. Les luttes des saamis sont indissociables de toutes les luttes des peuples autochtones. Cette lutte pour la reconnaissance, le respect et la réparation a connu des progrès importants lors des 30 dernières années.

De nombreuses organisations non gouvernementales ont vu le jour et d’autres ont embrassé la défense des droits autochtones. Citons bien sûr notr partenaire de notre soirée : Amnesty International, mais aussi Survival International, la Fondation Danielle Mitterrand, l’Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie – Louis Joinet, … Les peuples autochtones ont aussi développé leurs propres organisations pour peser dans le débat public : 

  • Organisation internationale de développement des ressources indigènes
  • La Fondation Indigène FSC
  • La Conférence Circumpolaire Inuit
  • Le Conseil Same

La mobilisation des peuples autochtones pour leurs droits a débouché sur un premier groupe de travail aux Nations Unies en 1982, le 9 août, date choisie pour la journée internationale des peuples autochtones, proclamée en 1994. 

Il faudra attendre 2007 pour que les travaux des Nations Unies aboutissent à la Déclaration sur les Droits des Peuples Autochtones. 

Depuis des nations comme le Canada ou l’Australie ont présenté leurs excuses pour les mauvais traitements infligés aux peuples autochtones et développent des programmes inclusifs pour respecter les droits des peuples autochtones. 

La lutte des saamis s’inscrit pleinement dans ce contexte.

L’Eglise luthérienne de Suède (église d’Etat) a présenté ses excuses au peuple saami en 2021 pour les exactions subies et l’évangélisation forcée qui a mené en autre à la destruction des tambours chamaniques et à l’interdiction des cultes animistes. 

Le parlement norvégien a présenté ses excuses officielles le 12 novembre 2024 pour la “norvégianisation” forcée. 

La marche vers la reconnaissance politique des saamis passe la création de parlements saamis dans chacun des pays scandinaves : Norvège, Suède et Finlande. La Russie n’a pas encore reconnu le parlement saami de Russie. 

Le Conseil Same représente la communauté sur tout le territoire de la Laponie, appelé Sapmi. Ce conseil, le Samiraddi, fondé en 1956, comme les parlements samis, n’a pas de pouvoir de légiférer et son avis n’est que consultatif. Mais ces instances sont dotées d’un budget qui permet de soutenir la culture sâme, de gérer les affaires courantes de la communauté et notamment l’élevage de rennes. Les parlements ont été fondés au début des années 1990 certainement pour calmer les revendications autonomistes face aux conflits fonciers générés par le développement industriel à partir de la fin du XIX siècle. 

Cette reconnaissance, incomplète d’un point de vue politique, permet cependant un renouveau culturel et un mouvement de fierté sâme : le nombre de saamis inscrits sur les listes électorales des parlements ne cesse d’augmenter. 

Les parlements offrent un cadre de négociation  entre les saamis et les gouvernements nationaux. Notamment pour les commissions “vérité”. Ces structures indépendantes d’enquête permettent de faire la lumière sur les exactions coloniales, d’assumer le devoir de mémoire, d’établir les faits, de documenter l’Histoire et poser éventuellement les premières pierres de la réconciliation à l’instar de ce qui s’est fait au Canada. 

En Suède, les conclusions de cette commission sont attendues pour fin 2025. La Finlande a constitué cette commission en 2021. En Norvège, la CVR a rendu public son rapport final le 1er juin 2023. Le processus est donc encore à son tout début. 

Caractériser les faits permettra non seulement une réconciliation mais surtout des changements majeurs dans les politiques publiques nationales pour éviter que perdurent l’esprit de la colonisation et les atteintes aux droits des saamis.

Parmi les revendications importantes des saamis, il y a le droit à la terre. Le droit de décider ce qui se fait ou non sur leurs terres ancestrales : tourisme, exploitations forestières, industries minières ou énergétiques, infrastructures, … 

Le droit de faire migrer librement leurs rennes semi-sauvages.

Le droit d’administrer la pêche et la chasse.

Le droit de vivre pleinement sa “samiité” sans pour autant avoir à appartenir à un Sameby, puisque la majorité des saamis ne sont pas éleveurs mais encore beaucoup de droits s’exercent à travers les regroupements d’éleveurs, les samebys. 

  • Faire la lumière historique sur les années sombres de la colonisation
  • Donner un réel pouvoir législatif et politique aux parlements saamis pour qu’ils décident de l’avenir du territoire
  • Développer des politiques inclusives pour faire reculer l’esprit colonial et raciste

Voici les luttes actuelles des saamis. 

Elles viennent nous questionner sur notre propre passé colonial, sur les scories du colonialisme dans notre culture et dans nos esprits et sur l’évolution de l’universalisme pour y intégrer les droits autochtones et protéger cet universalisme contre les instrumentalisations coloniales ou hégémoniques. Car comme le disait Aimé Césaire “Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde”

Elles viennent  aussi ouvrir une perspective sur la façon de gérer le développement d’un territoire à l’aune du réchauffement climatique, de la raréfaction des ressources et d’un lien moins matérialiste avec la nature. 

Pour finir, je voudrais encore citer Aimé Césaire qui éclaire le lien entre universalisme et lutte des droits autochtones : 

“Maintenir le cap sur l’identité ce n’est ni tourner le dos au monde, ni faire sécession, ni bouder l’avenir, ni s’enliser dans le communautarisme ou dans le ressentiment.

Notre engagement n’a de sens que s’il s’agit d’un ré-enracinement certes, mais aussi d’un épanouissement, d’un dépassement et de la conquête d’une nouvelle et plus large fraternité.” 

Des propos d’une intense actualité ! 

https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Publications/GuideIPleaflet1fr.pdf

https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/20/en-suede-l-eglise-presente-ses-excuses-aux-samis_6106739_3210.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Parlements_samis


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